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19 septembre 2020 6 19 /09 /septembre /2020 07:26

 

         Un enfant sauvagement violé et tué, des parents meurtris, une population marocaine choquée et horrifiée, prête à lyncher le pédophile tueur, un Roi compatissant qui présente ses condoléances aux parents d’Adnane.

         En tant que citoyen, je ne peux que joindre ma voix à celle déjà exprimée par ces millions de Marocains survoltés à juste titre contre ce « monstre moral ». A mon tour, je ne peux que condamner fermement cet acte horrible sans toutefois basculer dans l’esprit de la vengeance et de la contre-violence.

         Dans ce papier, j’aimerais traiter de quatre questions en tant que sociologue :

         1) comment le pédophile est-il en même temps un malade et un criminel?

         2) comment la société marocaine est-elle prompte à condamner un acte pédophile ponctuel médiatisé contrairement à la complicité qui la caractérise lorsqu’il s’agit d’actes pédophiles structurels intégrés ?

         3) quel rôle l’éducation sexuelle peut-elle jouer dans la prévention de ces deux formes d’actes pédophiles ?

         4) Quelle est la signification la distinction entre les notions d’attentat à la pudeur et de viol et pourquoi faut-il la supprimer du code pénal en raison de sa discrimination fondée sur le genre ?   

   

         La pédophilie comme faits ponctuels divers

 

         Pour la psychiatrie, la pédophile est une maladie mentale, une paraphilie incurable. Le pédophile est donc et avant tout un malade dangereux de par la violence meurtrière qu’il est susceptible d’exercer contre sa victime. Cependant, et il ne faut pas cesser de le rappeler, la pédophilie est paradoxalement une « maladie mentale transitoire » qui touche de manière ponctuelle des gens normaux ayant une vie courante normale, et qui sont loin d’être des obsédés sexuels pervers. Ce sont des gens « insoupçonnables » de pédophilie tueuse jusqu’au moment où ils accomplissent leur acte pédophile tueur la première fois. Ce sont des gens ayant subi dans 33% de cas des agressions sexuelles durant leur enfance et/ou qui n’ont pas d’estime de soi pour des raisons liées à une enfance malheureuse. Le viol et le meurtre de l’enfant procurent aux « pédophiles » tueurs un sentiment de puissance et de survalorisation de soi. Leur passage à l’acte, tout en étant parfois planifié de manière rationnelle, obéit à des mécanismes psychologiques inconscients et non maîtrisables. Il s’agit alors de distinguer entre la personne et ses actes pédophiles, ceux-ci étant des actes ponctuels et compulsifs, imprévisibles, surtout la première fois. Les enfants des classes populaires et précaires, les moins protégés sont les victimes les plus nombreuses de ces actes ponctuels.

         Face au pédophile ponctuel, ce malade/criminel, maladie et criminalité ne s’excluant pas ici,  psychiatres et magistrats ont alors à répondre aux questions suivantes : dans quelle mesure le pédophile est-il responsable de ses actes ? Où doit-on l’envoyer ?  A l’hôpital pour une psychothérapie afin de le réinsérer dans la société ? A l’hôpital pour une castration chimique qui le rendrait incapable de récidive ? Doit-on le laisser en liberté et le maintenir à distance grâce à un bracelet GPS ou grâce à un contrôle par internet du lieu où il se trouve ? Incurable, faut-il s’en débarrasser définitivement en le condamnant à la prison à perpétuité? Ou en le condamnant à mort dans les pays où la condamnation à mort est prévue par la loi pour sanctionner un meurtre ? En exécutant impérativement sa mise à mort ? Les réponses à ces questions varient selon les cas et selon les législations nationales.

 

         La pédophilie comme fait social structurel

        

         En plus de cette pédophilie maladive tueuse, d’autres formes de pédophilie existent.

         Il y a les pédophiles de circonstance, ces hommes qui prennent les enfants pour des cibles sexuelles par défaut dans une société marocaine qui interdit les rapports sexuels consentis entre adultes. Un homme sexuellement frustré peut se tourner vers les enfants par défaut, vers les garçons notamment parce que ceux-ci sont plus accessibles et parce qu’ils présentent moins de risques sociaux (ils n’ont pas de virginité à perdre et ne tombent pas enceints). Pire, la tradition marocaine avait quasiment intégré cette pédophilie par défaut dans ses us et coutumes. Que de fois entend-on encore dire que tel homme  « aime » les enfants, sous-entendant par-là qu’il aime sodomiser les garçons. On le dit avec un sourire de complicité et de compréhension. On ne voyait là rien de méchant ni de grave. Le proverbe dit même que l’enfant n’apprend que s’il passe sous le « ventre » du maître de l’école coranique et du maître artisan. Agresser sexuellement les enfants mâles est encore une soupape de sécurité sexuelle plus ou moins normalisée.

         Il y a également ces petites filles qu’on viole sans déflorer et sans qu’il y ait de déclaration/plainte de la part des parents, ceux-ci estimant que ce viol n’est pas grave et qu’il n’en est pas un du moment que l’hymen est encore intact. Ou le fait de marier des filles mineures à des hommes d’âge mûr pour des raisons économiques ou par crainte du « déshonneur ». Ce sont là deux manières d’encourager les pédophiles et de normaliser leur comportement.

         Il y a aussi la triste complicité de certains parents marocains qui vendent les services sexuels de leur enfant à des touristes étrangers et qui poussent ainsi leur enfant à se prostituer. La notion de consentement de l’enfant n’est pas posée, elle n’est même pas conçue dans les cas où l’enfant se prostitue volontairement. L’enfant devient un travailleur sexuel exploité par ses parents.

         Il y a enfin l’exploitation sexuelle des enfants de la rue et celle des petites bonnes dans les espaces nocturnes public et privé.

         Là encore, ce sont les enfants des classes sociales populaires qui sont les plus touchés par la pédophilie structurelle.

         Ces différentes formes de pédophilie constituent un fait social établi. Elles expriment une pédophilie structurelle et structurante, socio-culturellement normalisée et, pire, juridiquement organisée dans les cas des mariages des filles mineures. Même si elles sont plus nombreuses et même si elles traversent la société de part en part, la lutte contre ces pédophilies « chroniques » est moins visible. En tant que fait social qui fait partie de la vie courante et ordinaire, elles ne sont ni aussi spectaculaires ni aussi médiatisées que le viol et le meurtre d’un enfant par un pédophile. Contrairement à cette pédophilie ponctuelle qui reste statistiquement négligeable et non significative, la pédophilie structurelle est sociologiquement significative. Ceci étant, et eu égard à son « mal de voir », il est plus facile pour la société marocaine de crier haro sur un malade mental, criminel certes, que de s’auto-critiquer. Si pour la loi, le bourreau d’Adnan est poursuivi à la fois pour attentat à la pudeur et pour meurtre, pour la société il n’est au fond et en dernière analyse accusé que de meurtre, le viol d’un garçon qui survit à son viol étant encore considéré comme « pas si grave que ça ». C’est la société civile qui a tiré la sonnette d’alarme sur la gravité des viols des garçons.

         Pour le sociologue, les deux pédophilies sont graves même si la pédophilie ponctuelle relève d’abord de la psychiatrie avant de relever de la justice, et même si la pédophilie structurelle engage toute une société, quitte à en faire le procès. L’acte populaire accusateur de la pédophilie tueuse ponctuelle est juste, mais il se doit d’aller au bout de lui-même et se retourner contre soi afin de rester juste et dénoncer aussi les pédophilies structurelles que la société marocaine produit et reproduit à la chaîne. Il doit se transformer en acte citoyen.

        

         L’éducation sexuelle, cette nécessité publique

 

         Face aux deux pédophilies ponctuelle et structurelle, l’éducation sexuelle des adultes est nécessaire. L’éducateur est à éduquer dans une société marocaine qui se dresse avec force contre un acte solitaire de pédophilie ponctuelle, un fait divers en dernière analyse, et qui se tait devant la pédophilie structurelle qui la caractérise et qui l’incrimine.

         A l’occasion du viol meurtrier d’Adnane, des voix ont réclamé l’institution d’une éducation sexuelle comme moyen de prévenir la pédophilie. Il est vrai, et je n’ai pas cessé de l’écrire et de le dire depuis 1997, que l’éducation sexuelle est une nécessité publique au Maroc afin de prévenir les violences sexuelles et sexistes (entre autres). Mais de là à croire que l’éducation sexuelle peut identifier à l’avance le pédophile violent et tueur, il y a un pas épistémologique à sauter, que je ne saurais sauter. En fait, l’éducation sexuelle peut habiliter l’enfant à identifier le danger sexuel en cas de tentative de séduction de la part d’un pédophile abuseur qui cache ses intentions sexuelles et qui trompe l’enfant sur ses intentions véritables. Elle peut apprendre à l’enfant à avertir ses parents ou à leur en parler a posteriori pour une thérapie post-traumatique. Elle habilite également les parents à dialoguer sur la sexualité de manière ouverte et saine avec leurs enfants. Mais l’éducation sexuelle n’est d’aucune efficacité lorsque l’enfant est face à un pédophile qui le détourne/kidnappe, le séquestre, le viole et le tue. Elle n’est non plus d’aucune efficacité pour prévenir l’acte pédophile chez le pédophile lui-même. On a beau enseigner l’éducation sexuelle dans les écoles des pays occidentaux sans pour cela empêcher le pédophile de s’arrêter aux niveaux de l’acte pédophile séducteur ou prostitutionnel, ni de passer à l’acte pédophile violent et meurtrier.

         Par contre, l’éducation sexuelle est très efficace en matière de prévention et de lutte contre les pédophilies structurelles. Et c’est le plus important.

        

         L’attentat à la pudeur, une métaphore juridique du viol anal

        

         L’auteur de l’agression sexuelle contre Adnane est poursuivi (également) pour attentat à la pudeur. Que signifie l’attentat à la pudeur ? En fait,  l’attentat à la pudeur est une métaphore que le Code Pénal emploie pour dire le « viol anal » exercé indistinctement contre une personne de sexe masculin ou féminin (articles 484 et 485). Ainsi une pénétration anale d’une femme non consentante n’est pas un viol, mais un attentat à la pudeur Ce non-emploi de la notion de « viol anal » par le Code pénal exprimerait-il une volonté du législateur de ne pas porter atteinte à la pudeur publique ? Le code pénal serait-il pudique ? Cette hypothèse est balayée par la définition même du viol par le code : le viol est exclusivement l’acte sexuel exercé sur une femme contre son gré (article 486). Il s’ensuit que la personne de sexe masculin ne peut pas être l’objet d’un viol. Seules les petites filles impubères et pubères, les jeunes filles célibataires et les femmes mariées sont objet du viol. Pour résumer, l’attentat à la pudeur, c’est prendre de force hommes et femmes par derrière tandis que le viol, c’est prendre les femmes par devant.

         Cette distinction montre que la différence sexuelle est au fondement du code pénal marocain,  l’hymen femelle serait le prétexte qui justifie la discrimination de genre qu’il opère: n’ayant ni hymen ni virginité, on ne saurait parler de viol du garçon ou de l’homme, et encore moins de leur défloration comme circonstance aggravante comme c’est le cas pour les jeunes filles. En effet, le soubassement anthropologique culturel du code pénal le conduit à considérer le viol d’une jeune fille avec défloration comme plus grave que celui d’une jeune fille déflorée. La réclusion est doublée.

         N’est-il pas temps de corriger cette discrimination sexiste et nommer pareillement et sur le même pied d’égalité toute agression sexuelle pénétrante contre une personne comme viol, et ce quel que soit son sexe? Toute pénétration sexuelle (vaginale, anale ou buccale) d’une personne non consentante est un viol par définition car il s’agit d’une invasion de son territoire corporel, d’une violation des frontières de son corps, celles qui représentent la limite entre l’extérieur et l’intérieur. Pénétrer un corps sans « passeport » est un viol de ce corps quel que soit le sexe de ce corps.

         L’importance accordée à l’hymen et à la virginité, ces deux propriétés du Moi tribalo-familial, exprime une logique patriarcale systémique et la renforce. C’est là que l’éducation sexuelle fondée sur le postulat de l’égalité de tous les acteurs sexuels (indépendamment de leurs sexe/genre, identité de genre, orientation sexuelle et situation matrimoniale) devrait normalement déboucher sur la production d’un code pénal égalitaire, non fondé sur le genre. Mais c’est justement ce postulat de l’égalité des sexes, des genres et des sexualités, et de la liberté qui en découle, qui pousse la grande majorité des Marocains à refuser l’éducation sexuelle malgré sa capacité de prévention des IST, des grossesses non désirées et des violences sexuelles et sexistes. Pour cette majorité silencieuse inculte mais politiquement pesante (tout en étant apolitique), l’éducation sexuelle est tout simplement une incitation à la débauche sexuelle…

         Aux pouvoirs publics de se libérer de la pesanteur sociale et de corriger cette image sociale négative de l’éducation sexuelle, d’institutionnaliser l’éducation sexuelle à tous les niveaux de l’enseignement et d’élaborer des programmes de formation en la matière à l’adresse des professeurs, des médias et des familles. L’éducation sexuelle est un outil de développement des ressources humaines de la nation, un outil qu’on n’a pas le droit de négliger.

 

 

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