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12 septembre 2020 6 12 /09 /septembre /2020 12:12

 

 

Mourir « grâce » au Coronavirus :

une opportunité de se libérer d’une vie de misère[1]

 

        

       Comment vivre avec le Coronavirus ?

    

         C’est la grande question à laquelle nul n’a de réponse, ni la population, ni les chercheurs, et encore moins les gouvernants. D’un côté, on a l’impression que les autorités maitrisent leur sujet. Nous le voyons au niveau de la production de chiffres quotidiens dont la fiabilité semble incontestable. De l’autre côté, on soupçonne une sorte de maldonne. Ces chiffres ne sont-ils pas gonflés depuis le dé-confinement dans le but d’accentuer la psychose collective ? Les tenants de la théorie du complot estiment en effet qu’un stratagème obscur et mondial voudrait amener les populations à se faire administrer un vaccin suspect. Pour cela, le virus est présenté comme se diffusant massivement afin de rendre la prise de ce vaccin (à venir) volontairement incontournable, voire obligatoire. Cette théorie du complot avance que le but ultime est de parvenir à une relaxation démographique, à débarrasser le monde, et le Maroc par ricochet, des personnes physiquement, psychologiquement, socialement, économiquement vulnérables. En d’autres mots, les vieux, les malades chroniques, les non-productifs, les nuisibles… La pandémie provoquée aurait comme objectif secret un eugénisme qui ne garderait vivants que les plus forts.

         Au niveau de la population, j’observe un paradoxe. La peur est palpable.  Les gens s’évitent en situation « normale », par exemple en marchant dans les rues, sur les boulevards. Seulement, dès qu’une foule se forme dans des lieux comme les souks et les marchés, les gens se parlent sans masques, sans distanciation, collés les uns aux autres, sans précaution aucune. On observe le même phénomène devant les bureaux des communes urbaines pour chercher un extrait d’acte de naissance ou un certificat de résidence, légaliser une signature ou une photocopie.  Là, la conscience du danger semble disparaître. L’intérêt immédiat fait oublier toute prévention. Et on laisse les gens s’entasser ainsi dans la rue, de manière dangereuse, de manière indigne, comme du bétail.

 

       Une scolarité paradoxale

         Là, je relève un paradoxe logique et inégalitaire : les quartiers pauvres sont les plus touchés par le virus et les élèves seront par conséquent soumis à l’enseignement « distanciel » sans disposer de tous les moyens que cet enseignement nécessite. Par contre, les quartiers nantis qui sont beaucoup moins affectés par le virus, et qui jouissent des moyens de s’équiper en vue d’un enseignement à distance, seront ceux qui bénéficieront le plus de l’enseignement « présentiel ». Cela exacerbera le sentiment d’injustice parmi les populations qui vivent dans la précarité. Les catégories sociales démunies souffriront d’une double sanction alors : d’une part un enseignement à distance « médiocre » et souvent inaccessible à cause d’une connectivité absente, d’autre part une vulnérabilité plus grande à la contamination. Le Covid 19 reflète ainsi les disparités sociales et les accentue. Le logement en est une autre preuve.  Au lieu d’être une cuirasse contre le Covid 19, les logements prolétaires et précaires exigus et surpeuplés ne constituent pas un deuxième corps qui protège les corps humains qui y vivent. Ils ne permettent pas la distanciation physique intrafamiliale. Les membres entassés d’une même famille deviennent ainsi un danger les uns pour les autres. Chaque membre de la famille précaire devient un infecté potentiel, un infectant potentiel, et devient un enfer qu’il est impossible d’éviter.

 

       Une équation insoluble

         Oui car il faut concilier entre trois valeurs fondamentales : la santé, l’emploi et la liberté (de circuler, de se rencontrer, de se réunir, de faire la fête…). Lorsque le confinement est strict, l’emploi en pâtit. A l’inverse, lorsque le déconfinement s’opère, l’emploi et la liberté renaissent mais le virus se propage davantage et plus vite. Alors comment faire pour concilier entre ces différents paramètres de la vie en société ? Je vous l’avoue, je n’aimerai pas être à la place des décideurs en ce moment. Ceux-ci sont manifestement perdus. Face à l’augmentation des chiffres de la pandémie, ne pouvant pas agir selon des politiques publiques bien établies, avec des stratégies et des plans d’action bien clairs, les décideurs improvisent, ils bricolent. On verrouille villes, quartiers, entreprises et écoles lorsque le nombre des cas devient alarmant et ça s’arrête là. Au niveau de la population, les comportements sont contradictoires. Personne ne veut être infecté mais personne ne veut renoncer à sa liberté et à ses plaisirs. Sortir, aller au café, profiter de la plage et du soleil sont des actes qui exprime un besoin psychologique vital sans pour autant être accompagné par un souci adéquat de se protéger et de protéger les autres. En somme, dans cette situation inédite, nous assistons à un bricolage généralisé aux niveaux politique, sanitaire, social et individuel.

 

       Le Marocain, un citoyen avorté

         Au lendemain de chaque épidémie, les gens sont comme assoiffés de vie et de plaisirs. Ils se lancent dans une consommation plurielle et tentent de rattraper le temps perdu. Mais de mon point de vue, un autre facteur structurel explique l’explosion des nouvelles infections dans notre pays : il s’agit de l’absence de morale civile, de citoyenneté. C’est cela qui fait que dans d’autres pays, porter le masque soit devenu un réflexe national : on se préserve pour préserver les autres ainsi que la nation-mère. Le Marocain, hélas, n’a pas encore accédé au rang de citoyen total. Il n’est pas un citoyen parce que les différents pouvoirs ne le traitent pas en tant que tel. Pire, ils ne le construisent pas en tant que citoyen. Les pouvoirs publics ne s’adressent au Marocain en tant que citoyen que pour lui rappeler ses devoirs envers la nation, mais le priver de ses droits fondamentaux élémentaires, ne pas respecter sa dignité et le vouloir servile, tout cela l’empêche d’être citoyen. Par conséquent, l’injonction intérieure de s’acquitter de son devoir moral de citoyen n’existe pas chez lui. Il se dit : « pourquoi exige-t-on de moi, moi petit marocain, de respecter mes devoirs civiques, alors que la corruption est endémique, que les élites censées donner l’exemple s’en abstiennent en toute impunité… Le proverbe ne dit-il pas que pour laver les escaliers, il faut commencer par le haut ». Le Marocain lambda se complaît alors dans une sorte de je-m’en-foutisme. A moins qu’un agent d’autorité n’exerce un contrôle tangible sur leur comportement, la majorité des Marocains ne respectent pas les injonctions d’un pouvoir qui ne les respecte pas, et qui ne les habilite pas à respecter la loi, à l’intérioriser. Le respect des gestes barrières en tant que gestes imposés par les pouvoirs ne s’est pas encore transformé en réflexe national. Car les Marocains n’ont pas tous ni la capacité de s’équiper en masques ni celle de payer une amende de 300 DHS ni celle de respecter l’application de la loi.  Et on ne peut pas vraiment emprisonner tous les contrevenants pour défaut de paiement. Encore faut-il pouvoir verbaliser tous les contrevenants. Dans ce contexte, la transgression majoritaire des gestes barrières est donc inéluctable, elle devient périlleuse. Cette transgression découle à la fois de l’absence de morale civique, d’une insuffisance de moyens, mais aussi d’un réflexe social grégaire encore très largement répandu. Ce qui est évidence sanitaire préventive ne s’est pas encore transformé en évidence sociale.

        

         Mourir, un hrig vertical, une libération

         Les Marocains défavorisés pensent que les riches courent moins de risques d’attraper le virus et/ou d’en mourir. Ils s’estiment être les offrandes sacrificielles de la pandémie du Coronavirus. Leur credo est alors « Li Liha liha ». Se considérant comme déjà (symboliquement) morts, mourir pour de vrai « grâce » au Coronavirus est perçu comme une opportunité de se libérer d’une vie de misère, voire une « chance » de mourir en martyr, d’émigrer vers le paradis. Avec ou sans le coronavirus, pour beaucoup de Marocains, la vie au Maroc ne vaut pas la peine d’être vécue...

 

 

 

 

[1] Publié par Telquel le 11 septembre 2020.

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