Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 septembre 2022 2 06 /09 /septembre /2022 17:45

 

            Dans le cadre de la rencontre organisée le 17 juin à Marseille par l’IMéRA (Université Aix-Marseille) sur le thème du « Coran vécu », j’ai traité la problématique suivante : comment la population générale, la société civile et la classe politique font elles face au Coran et au code pénal dans le champ sexuel marocain ? Comment se positionnent-elles plus précisément face aux sexualités non maritales explosives ?

            Dans ce cadre, je me suis posé quatre questions subsidiaires : 1) quelles sont les ruptures et les continuités entre sanctions coraniques[1] et sanctions juridiques contre la sexualité non-maritale? 2) Comment le code pénal résiste-t-il à la revendication réformiste en étant lui-même coranisé, c’est à dire perçu comme une expression moderne du Coran? 3) Pourquoi les partis politiques ne s’impliquent-ils pas dans le projet de la réforme du code pénal ? Quelle est la raison de leur absentéisme en la matière ? 4) Comment seule une critique historico-critique du Coran (en matière sexuelle), une fois adoptée par des forces politiques, et une fois vulgarisée et popularisée à travers les mass-médias publics à large audience, représente-t-elle la seule issue pour venir à bout des résistances anti-réformistes liberticides?

 

            1-Ruptures et continuités

 

            Etabli en 1962, le droit pénal marocain rompt avec le Coran à travers trois substitutions: 1) d’abord une substitution terminologique : la notion de liwat (homosexualité masculine) cède la place à celle d’acte contre nature (article 489, pénalisant le lesbianisme aussi, ce qui n’est pas pénalisé dans le Coran, la notion de zina ghayr al-Muçane (fornication du célibataire) est remplacée par celle de la « débauche » (fassad/article 490) tandis celle de zina al Muhçane (fornication du marié) cède la place à celle d’« adultère » (khyana zaoujia/article 491). Ensuite une substitution de la valeur : le zina comme  Kabira (grand péché/crime) est rabaissé au rang d’une simple junha (délit), 3) Une substitution pénale :  le hadd (sentence : fouet, exil, lapidation) est remplacé par celle le ‘iqab (punition : prison et/ou amende).

            Il y a donc un abandon de la terminologie coranique et de la grande charge transgressive accordée par le Coran à la fornication. Cet abaissement de la valeur antisociale et juridique de la sexualité non maritale explique à la fois la moindre gravité des sanctions pénales ainsi que la plus grande facilité d’établir la preuve de la débauche ou de l’adultère. Il y a donc une rupture dans les modes de preuve lorsqu’on passe du Coran au code pénal.

            Pour le Coran, le témoignage quatre témoins oculaires crédibles de la pénétration sexuelle constitue la preuve suprême, mais toutefois quasi-impossible, de la fornication. Les foqaha vont même jusqu’à déconseiller le témoignage en la matière pour ne pas divulguer la turpitude au sein de la Umma. L’aveu constitue le deuxième mode de preuve. Toutefois, il doit être libre et volontaire, répété quatre fois espacées dans le temps (selon les foqaha), avec la possibilité de se rétracter et de s’enfuir lors de l’exécution de la sentence sans être poursuivi (toujours selon les foqaha). La femme accusée d’adultère par un mari qui n’a pas de témoins peut échapper à la sentence grâce au procédé de l’anathème (Al-li’an اللعان).

            Contrairement au Coran, le droit pénal facilite l’établissement de la preuve et de l’adultère. Le premier mode de preuve est l’établissement par un officier de police d’un procès-verbal du flagrant délit non pas sur la base d’un visionnement de la pénétration sexuelle, mais uniquement sur des indices, des présomptions (être seuls dans une chambre, présence de lingerie, de préservatifs, de vin…). L’officier de police se rend sur les lieux du délit de débauche ou d’adultère sur la base d’une information donnée par un voisin, un concierge, un mari… Contrairement donc au Coran, le code pénal prend en compte la dénonciation de la débauche et de l’adultère par des tiers. Le deuxième mode de preuve est l’aveu à travers des écrits de l’accusé (lettres, publications…). Le procès-verbal établi par l’officier de police et signé par l’accusé est considéré comme un aveu écrit. Enfin la reconnaissance volontaire et libre du délit devant un juge d’instruction ou devant le parquet constitue le troisième mode preuve. Autant dire des modes de preuve fragiles et contestables par les défenseurs des droits humains.

            Malgré ces ruptures, malgré la suspension de la loi coranique en matière de sexualité non-maritale, le code pénal est socialement perçu comme un représentant fidèle du Coran. Aux yeux de la population générale, le plus important, c’est le fait que le code pénal maintient la prohibition coranique de la fornication en la transformant en interdiction juridique de la sexualité non maritale. Ce faisant, le code pénal est coranisé à son tour. Il n’est qu’une sécularisation juridique formelle, non perçue et/ou minorisée en tant que telle. La coranisation sociale du code pénal est un substitut au littéralisme coranique. Elle en est la protectrice. Une fois coranisé, le code pénal résiste à la revendication réformiste exprimée par une partie de la société civile sur la base d’une explosion sexuelle prémaritale, extra-maritale, prostitutionnelle et homosexuelle. D’où le refus majoritaire de sa réforme à travers l’abrogation des articles 489, 490 et 491.


            II- Discorde autour de la réforme du Code pénal

 

            En effet, la société marocaine connaît une explosion sexuelle
malgré la double répression exercée contre la sexualité non maritale par le Coran et par le code pénal. Plus de 80% de jeunes ont des relations sexuelles avant le mariage (Ministère de la Santé, 2013) même si selon un sondage d’opinion auprès de la population générale, 80% de Marocain(e)s seraient contre les relations non-maritales. De son côté, en 2019, la justice marocaine a poursuivi 15.192 personnes pour "débauche", 3.270 pour adultère, 283 pour homosexualité et 107 pour avortement. Ce n’est là que la partie apparente de l’iceberg de la sexualité illégale et/ou «perverse ». De nombreuses autres études et enquêtes confirment l’explosion sexuelle. Le pouvoir judiciaire ne peut pas contrôler toutes les relations sexuelles illégales afin de les poursuivre car la transgression de la prohibition coranique et de l’interdiction juridique devient structurelle et chronique. En fait, l’explosion sexuelle indique une sécularisation pratique des pratiques sexuelles, une autonomisation de ces pratiques sexuelles par rapport à l’islam malgré la persistance de l’islam comme référence sacro-sainte suprême en la matière pour les Marocains lambda.

            Cependant, des intellectuels et des activistes réalistes prennent en considération l’explosion sexuelle comme un fait social établi et irréversible pour demander l’abrogation des articles 489, 490 (et 491, en demandant que l’adultère cesse d’être affaire pénale pour devenir une affaire civile). L’abrogation est demandée pour des raisons commerciales aussi : « je pourrais remplir mon hôtel à 100 % si seulement ils levaient la loi», affirme Meryem Zniber qui dirige un resort dans les montagnes du Rif.

            Cette demande d’abrogation des articles répressifs a été exprimée dès 2007 par Abdessamad Dialmy, reprise par le « Printemps de la Dignité » en 2010, par l’AMDH en 2012, par le collectif « Hors-loi » et par le « Conseil National des Droits Humains » en 2019. Celui-ci a en effet adressé un mémorandum aux parlementaires lors de de l'examen du projet de réforme du Code pénal. Dans ce mémorandum, le CNDH revendique les libertés sexuelles (y compris pour les LGBT) et le droit à l’avortement quand la grossesse met en danger la santé physique, mentale et sociale de la femme enceinte. La présidente du CNDH, Amina Bouayache, « estime nécessaire de ne pas impliquer le code pénal dans les relations individuelles et intimes entre adultes consentants ».

            Face à ce mouvement social organisé, un autre mouvement social,  tout aussi organisé, l’islamiste en l’occurrence, s’est dressé contre la demande d’abrogation des articles liberticides la sexualité non maritale. Ainsi, l’association « Mawadah pour le développement social et familial » a publié une pétition en ligne pour dénoncer les « libertés pornographiques » (même si personne ne réclame ces libertés). Elle rejette les manifestations appelant à la « liberté sexuelle » qui  « ne servent que les agendas sauvages de la mondialisation et de l’impérialisme qui ne respectent ni les religions ni les spécificités nationales et ethniques ».

            Des islamistes notoires se sont également dressé contre l’abrogation des articles sexuellement liberticides. A titre d’exemple, pour Abdeslam Fizazi (un islamiste radical repenti), supprimer l’article 490 serait violer le Coran et la Sunna. Et d’ajouter : « supposons qu’il y ait non poursuite judiciaire, qui va la supprimer du Livre d’Allah et de la Sunna de son prophète »? Fizazi oublie que personne ne demande de la supprimer du livre d’Allah et que les libertaires demandent seulement que l’Etat ne prenne pas en charge la poursuite des rapports sexuels consentis entre adultes. Et à ceux-ci de régler leur compte avec Dieu de manière individuelle et privée. Benhamza va plus loin en affirmant que supprimer les articles liberticides serait une « ridda », c’est à dire une régression à l’époque préislamique (Jahilya) et une apostasie, une sortie de l’islam. En d’autres termes, l’Etat qui aurait l’impudence/l’imprudence d’abroger ces articles serait un Etat apostat, non habilité à gouverner au nom de l’islam, politiquement illégitime par conséquent. Une fatwa politiquement menaçante ! Là, Benhamza coranise le Code pénal et demande implicitement dans sa « fatwa » que le code pénal soit sacralisé en matière sexuelle comme l’est le Coran. Pour lui, pas de rupture entre le Coran et le code pénal. Cette « fatwa » a été implicitement désavouée par le « Conseil Supérieur des Ouléma », le seul à être habilité à promulguer des « fatwas » officielles. Tout en étant membre de ce Conseil, ce Conseil, présidé par le Roi, ne se prononce pas contre la demande s’abrogation. Le Conseil laisse entendre ainsi qu’il refuse de coraniser le code pénal, de confondre Coran et code pénal.

 

            III- L’absentéisme politique dans la lutte pour les droits sexuels


            Face aux droits sexuels en tant que droits humains, c’est le PJD, le parti islamiste qui a la part « belle ». Son attitude conservatrice liberticide et anti-réformatrice trouve beaucoup d’écho au sein d’une population générale analphabète en matière de droits humains. Benkirane et El Otmani n’ont pas cessé durant leurs mandats (2011-2021) de critiquer les organisations et les intellectuels qui « militent pour la dépénalisation de l’avortement et pour d’autres libertés individuelles que la loi islamique considère comme illicites (haram). Dans leur sillage, El Moukri Abouzeid, député et membre dirigeant du PJD affirme que "tout acte sexuel en dehors du mariage est un acte de débauche, un crime". Dans cette déclaration, Abouzeid marie involontairement entre débauche et crime, délit et kabira, code pénal et Coran.

            Contrairement au PJD et aux partis conservateurs (anti-abrogation) et libéraux qui ne se prononcent pas clairement sur la question de l’abrogation des articles liberticides, les partis de la gauche sont en théorie favorables à l’abrogation, mais ils restent bloqués dans leurs pratiques électorales et programmes au sujet des droits et des libertés sexuels.

            Pire, en 2006, dans un article publié dans Al Ittihad Al Ichtiraki, intitulé « La bataille sexuelle arrivera inéluctablement », Dialmy s’était livré à une critique de Driss Lachgar, l’actuel leader de l’USFP, à propos de son attitude à l’égard de la sexualité non-maritale.  Lors d’une émission télévisée, Lachgar exigeait que ce soient les autorités publiques seules qui sévissent contre ceux qui pratiquent une sexualité non-maritale. Il refuse que des groupuscules islamistes se chargent de la défense de la morale sexuelle islamique en harassant publiquement ceux qui transgressent cette morale à travers leurs comportements « impudiques ». Lachgar est contre l’exercice du taazir, c’est à dire contre les violences physiques et/ou symboliques (verbales) que font subir les islamistes radicaux contre les couples dans l’espace public. Selon lui, ce sont les pouvoirs publics seuls qui ont le droit de protéger la morale publique, islamique sous-entendue. C’est déjà là et en soi une attitude conservatrice anti-libertaire de la part d’un parti politique de gauche progressiste qui a été un acteur fondamental dans la réforme du Code du Statut personnel. Mais plus encore, lors de son intervention télévisée, Lachgar utilise le terme coranique fahicha (turpitude) pour non seulement nommer les relations sexuelles non-maritales comme le fait le Coran, mais aussi pour soutenir leur condamnation et poursuite par les autorités judiciaires sur la base du code pénal ! Ce faisant, Lachgar demande aux seuls pouvoirs publics d’intervenir pour condamner la fahicha/zina/fornication au nom du code pénal ! Là encore, il y a coranisation du code pénal. Au lieu de défendre la liberté sexuelle en tant que représentant d’un parti socialiste, Lachgar se prononce pour la pénalisation de la sexualité non-maritale/fahicha en coranisant le code pénal, et à travers lui les notions de « débauche » et d’« adultère ».

            Pourquoi l’USFP en tant que parti socialiste n’a -t-il jamais revendiqué l’abrogation des articles 489, 490 et 491 répressifs de la sexualité non-maritale ? Par définition, cette abrogation reste une demande politique de fond inscrite dans l’ADN de tout parti politique de gauche. Des considérations malheureuses de calcul électoral ont malheureusement conduit jusqu’à présent les grands partis de la gauche marocaine à refouler dans leur inconscient électoral et programmatique la revendication des libertés et des droits sexuels.

            La gauche ne soutient pas les droits et les libertés sexuels par peur de perdre des élections et des sièges dans les assemblées (de la commune au parlement). Le principe est là, mais sa mise en œuvre est absente. Une exception à cet état de fait : l’engagement programmatique de l’  « Alliance de la fédération de gauche » qui a consacré un volet de son programme aux questions relatives aux libertés individuelles et à l’abrogation des articles 489, 490 et 491. L’un de ses députés à la chambre des représentants, Omar Balafraj, a posé la question de l’abrogation de ces articles au sein de parlement. La question est restée inaudible, sans suite aucune.

            Et lors de la campagne des élections législatives en 2021, il y eu l’engagement déclaratif du Secrétaire Général du PPS en faveur de l’abrogation, mais cet engagement est totalement absent de la campagne électorale du parti et de ses programmes». Pour la gauche, la lutte pour les droits sexuels est une carte électorale et politique perdante.

            En plus du calcul politique, et à l’appui de la timidité politique des partis de la gauche, il faut signaler l’inexistence de conventions ou de traités internationaux (qui reconnaissent les droits sexuels comme des droits humains) à signer et à ratifier par les Etats-Nations, et qui obligent ces Etats à y adapter leurs législations nationales. Il existe tout au plus des recommandations dans ce sens dans les plans d’action des conférences du Caire (1984) et de Pékin (1995). Il existe également des résolutions du « Conseil des Droits de l’Homme » (ONU/Genève) qui parlent des droits sexuels comme droits humains et qui invitent aux non-discriminations sexuelles et de genre. Mais ni les recommandations ni les résolutions ne sont légalement contraignantes. Chaque Etat-nation reste souverain en matière de politique sexuelle.

 

            IV-De la nécessité de « gauchiser » et d’étatiser la critique historique du Coran

 

            Que faire face à ce blocage de la réforme d’un code pénal coranisé en matière sexuelle ?

            Le Code pénal résiste parce qu’il découle d’une interprétation rhétorique du Coran qui voit en lui un texte divin imperméable à l’histoire. C’est à travers cette perspective que le verset coranique « N’approchez pas la fornication, c’est une turpitude et un mauvais chemin »   est utilisé pour contrôler croyants. L’enjeu est donc de libérer le Coran d’une interprétation rhétorique figée qui s’en est approprié le sens et passer ainsi à une théologie islamique différente, à une théologie de la libération. Car beaucoup d’autres versets servent aussi à légitimer un message d’égalité et de liberté.

            Le point de départ de la critique historique du Coran en matière de sexualité réside dans la question suivante :  pourquoi le Coran a -t-il prohibé la sexualité non-maritale ? Pourquoi l’a- t-il prohibé spécifiquement pour les femmes musulmanes, étant donné que les hommes ont/avaient le droit d’avoir une sexualité non maritale avec les concubines-esclaves ? L’exégèse dominante voit dans la fornication avec une célibataire un double risque : ne pas pouvoir établir la filiation patrilinéaire et exposer la progéniture à la négligence et à l’abandon. En d’autres termes, l’enfant né hors-mariage crée une confusion entre les liens (patrilignage) et entre les biens (héritage), ce qui crée une discorde entre la jeune fille et sa famille. Plus personne n’en voudra comme épouse.  Quant à la fornication avec une femme mariée, elle détourne l’épouse de son mari et la fera répudier. Dans les deux cas, la fornication suscite une jalousie qui conduit au désordre social et à des crimes d’honneur ou passionnels. En un mot, la virginité qui signifie coraniquement l’absence de toute relation sexuelle avant le mariage est en dernière analyse un contraceptif radical contre les grossesses illégales involontaires qui menacent l’ordre social patriarcal. La fidélité de l’épouse est également un préservatif contre les grossesses d’origine extra-maritale. Dans les deux cas, l’objectif est de garantir la sécurité patrilinéaire car le mari est légalement le père (l’enfant appartient au lit conjugal, même si le mari n’est pas le véritable géniteur, à moins d’un anathème qui conduira l’épouse adultère à la lapidation ou d’un test ADN qui la conduira à la prison). Dans le cas de la jeune fille, le géniteur est in-transformable en père juridique, « son eau est pareille à celle des autres » affirment les exégètes du Coran.

            Cette causalité de la prohibition coranique de la fornication est historique. Elle se situe dans un contexte social et historique précis, marqué par une absence plurielle, celle d’une contraception médicale efficace, celle d’un avortement médical sécurisé, celle d’un test ADN qui établit de manière scientifique la filiation biologique patrilinéaire, celle de la possibilité juridique d’une filiation matrilinéaire (la mère célibataire a désormais un statut juridique qui l’habilite à transmettre son propre patronyme à son enfant), ou celle du père biologique de se transformer en père-légal grâce à un acte de reconnaissance. Cette absence plurielle faisait de la sexualité non maritale une sexualité à risques inévitables.

            Aujourd’hui, tous ces risques sont évitables : la disponibilité de la contraception, de l’IVG, du test ADN et d’un cadre juridique adéquat. Par conséquent, la prohibition coranique de la sexualité non maritale n’a plus de raisons d’être maintenue dans le code pénal. La dépénalisation de la débauche (article 490), de l’adultère (article 491), de l’homosexualité (les LGBT ne sont ni malades ni pervers !) et de l’avortement (article 453, la doctrine hanafite par exemple l’autorise pour des considérations sociales comme le viol, l’inceste et la pauvreté) est dictée par le contexte actuel, lequel contexte rend caducs les facteurs sociaux de la prohibition coranique de la sexualité non maritale et de ses conséquences.

            Certes, cette critique historique du Coran en matière sexuelle est refusée par l’analyse rhétorique qui respecte intégralement la lettre du Coran. Selon les foqaha, la critique historique désacraliserait le Coran, un texte supra-historique par définition. Approche historique et Coran seraient incompatibles, irréconciliables. Cependant, ces mêmes foqaha ont toujours invoqué les causes de la révélation de chaque verset afin d’en contextualiser le sens et la portée. Il s’ensuit alors que le Coran est un texte historique progressivement révélé au prophète selon les circonstances et selon des moments précis de sa vie et de ses relations avec ses compagnons et son entourage au sens le plus large. Et c’est cela même que nous démontrons ici, tout simplement. Les versets du confinement, de l’exil, du fouettage et de la lapidation (abrogé/supprimé/repris par la Sunna) comme châtiments des fornicateurs et des fornicatrices ne sont pas indépendants des causes de leur révélation. Pourquoi alors n’appliquerait-on pas la logique des causes de la révélation aux versets condamnant la sexualité non-maritale?

            Cette approche historique critique que nous avons établie depuis 2012 et que nous ne cessons pas de rappeler et de développer reste encore inaudible pour la population générale, voire même pour les universitaires. Elle est encore plus inaudible auprès décideurs politiques : partis politiques, parlements, gouvernements...

            La tâche première qui s’impose est alors de sensibiliser ces différents acteurs à l’approche historique critique du pénalisme coranique en matière de sexualité. La gauche avec toutes ses composantes, de la « gauche de caviar » à la gauche la plus radicale est à cibler en premier lieu car c’est la gauche qui porte dans son ADN idéologique l’idéal de la libération sexuelle. Une fois dotée d’une logique coranique à la fois interne et historique, la réforme du code pénal sera plus facilement portée par des forces politiques qui l’intégreront dans leurs programmes et qui l’imposeront à la négociation politique. Sans un soutien politique, la réforme du code pénal n’aboutira pas. La preuve la plus patente est la non introduction de la dépénalisation de l’avortement dans le code pénal malgré les recommandations d’une commission royale. Celle-ci avait recommandé en 2015 de dépénaliser l’avortement dans les cas de la malformation congénitale du fœtus, de l’inceste et du viol, en plus du danger pour la vie de la mère. Ces recommandations ont été formulées pendant les deux mandats du gouvernement islamiste (dirigé par le PJD) qui, fort de sa majorité parlementaire, n’a rien fait pour dépénaliser l’avortement dans les trois cas susmentionnés. Aujourd’hui, les libéraux (RNI/PAM) vont ils le faire ? Ne seront-ils pas bloqués par l’Istiqlal, libéral certes, mais conservateur surtout. Il faut également sensibiliser tous ces partis, de leur sommet et à leurs bases pour espérer une réforme du code pénal en matière sexuelle.     

            En fait, l’interprétation du Coran a toujours été historique, et toujours engagée dans un sens anti-libertaire dans le champ sexuel. Il est temps de faire du Coran un texte propre à inspirer la réforme du code pénal en tant que composante d’une réforme sexuelle dont le Maroc a grandement besoin. Cette réforme est un moteur de développement humain. Car ce sont des convictions égalitaires et libertaires qui doivent s’imposer aujourd’hui dans la lecture du Coran afin de le dé-subsantialiser, afin qu’il cesse d’être rigidifié. Adopter l’égalité et la liberté de tous les acteurs sexuels est une posture humaniste que le Coran peut dire quand il est lu à travers une perspective critique historique. Par conséquent, accepter l’égalité et la liberté de tous les acteurs sexuels (adultes), ce n’est pas accepter l’impérialisme et la mondialisation. Les valeurs sexuelles de l’égalité et de la liberté sont coraniques en soi, aujourd’hui elles seront coranisables de manière explicite dans la réforme du code pénal.

           

            Conclusion

 

            Le Coran reste une boussole indépassée, une source de guidance pour les Musulmans. C’est en cela que réside sa résilience plurielle: une résilience dans le hadith malgré l’abrogation textuelle du verset de la lapidation, une résilience dans le code pénal malgré la sécularisation terminologique, pénale et procédurale.

            L’enjeu est de transformer la résilience coranique en attitude positive, égalitariste et libertaire, pro-sexuelle en un mot. Ce faisant, la constitutionnalisation du Coran comme référence suprême de la nation se mariera parfaitement avec la constitutionnalisation des droits humains. Cette constitutionnalisation antinomique est à dépasser grâce à une approche historique critique des droits humains (également) : ceux-ci sont dé-corrélables d’un Occident capitaliste néolibéral anti-islamique au même titre que le Coran est dé-corrélable d’un refus définitif de la sexualité non-maritale.

 

 

 

[1] Dans ce papier, je ne présente pas les ruptures entre les sanctions coraniques et celles de la Sunna, ce que j’ai dans la présentation de Marseille.

Partager cet article

Repost0

commentaires