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29 janvier 2014 3 29 /01 /janvier /2014 13:16

Je mets à votre disposition un article que j'ai rédigé en mars 2000, et qui n'a pas été publié

Tant que Mohamed VI ne suit pas le conseil de Yassine, celui de renier les « fautes » de Hassan II en mettant sa fortune au service du Maroc, il ne sera pas légitimé en tant que commandeur des croyants, et l’association Al Adl wa al-Ihsane détiendra toujours un droit de regard et d’opposition. Il s’agit donc, en dernière analyse, de contester au nouveau roi son titre de « Roi des pauvres ».

En 1974, Yassine avait envoyé une lettre de 144 pages intitulée “L’Islam ou le déluge” à Feu Hassan II, dans laquelle il exhortait le souverain défunt à suivre la voie de l’islam pour éviter le déluge, c’est à dire coup d’état et révolution. Il proposait au Roi de gouverner avec l’appui des Ouléma et des militaires, et de dissoudre les partis politiques.

Vingt six ans après, Yassine récidive. En effet, il a récemment adressé, en tant que Mourshid (Guide) de l’association islamiste al Adl wa al-Ihsane, un mémorandum intitulé “A qui de droit” au nouveau roi Mohamed VI. Ce faisant, Yassine estime accomplir son devoir d’alem (savant), celui de conseiller le Roi (nassiha). Ce mémorandum, rédigé le 14 novembre 1999 (peu après le limogeage du ministre de l’intérieur Driss Basri), a été distribué aux militants de l’association et rendu public sur Internet le jour du dixième anniversaire de la mise en résidence surveillée de Yassine, c’est à dire le 22 Janvier 2000.

La proposition principale du mémorandum est la suivante : pour que Mohamed VI soit véritablement le “Roi des pauvres” comme le nomment les médias occidentaux, il doit utiliser la fortune que son père Hassan II a illégalement accumulée au cours de son règne, et ce pour régler la dette marocaine, résoudre la question du chômage et de la pauvreté. Proposition simple, voire simpliste qui vise à produire Yassine comme le véritable défenseur des pauvres. Proposition discutable, voire contestable, car partant du postulat de la confusion entre fortune personnelle et fortune de l’Etat. Pour cette « logique » simpliste, tant que Mohamed VI ne suit pas le conseil de Yassine, celui de mettre la fortune de Hassan II au service du peuple, il ne sera pas légitimé en tant que commandeur des croyants, et l’association de Yassine détiendra toujours un droit de regard et d’opposition. Il s’agit donc de contester au roi son titre de « Roi des pauvres ». Cette contestation vise deux choses :

- d’abord remédier à la mort de l’effet mobilisateur de « L’Islam ou le déluge » après la mort de Hassan II. Al Adl wa al Ihsane a en effet besoin d’un nouvel acte mobilisateur sous le règne de Mohamed VI et le mémorandum répond à ce besoin. En conséquence, le mémorandum viserait à maintenir la résidence surveillée qui profite à Yassine en fin de compte. Car priver Yassine de la liberté de circuler sans le juger fait de lui une victime politique du système makhzénien. La résidence surveillée donne de l’aura à Yassine et le mémorandum le maintient comme le seul leader politico-religieux qui n’a pas peur de dire la vérité aux rois.

- Ensuite, se distinguer, refuser l’intégration immédiate dans un jeu politique truqué, rester en dehors de l’alternance politique consensuelle pour rester populaire, pour recruter auprès du “peuple”, c’est à dire pour islamiser par le bas, tout en se démarquant de l’autre association islamiste, Al Islah wa et-Tajdid qui islamise aussi par le bas. Dans ce sens, le mémorandum de Yassine, en exprimant le refus d’être politiquement correct, discrédite objectivement son rival Al Islah wa et-Tajdid. Modérée, Al Islah wa et-Tajdid a en effet intégré le jeu démocratique parlementaire en intégrant/rénovant le parti d’El Khatib devenu depuis Parti de la Justice et du Développement (PJD). Secrètement manipulée par le puissant ministre des awqaf et des affaires islamiques, Al Islah wa et-Tajdid est sur le devant de la scène politique et médiatique en menant une lutte sans merci contre le projet gouvernemanetal d’intégrer la femme au développement, lutte à travers laquelle elle se présente comme le défenseur populaire de l’islam populaire. Son président a même été invité à donner une conférence à l’occasion des leçons hassaniennes présidées par le Roi le ramadan dernier.

Quelles réactions le mémorandum a-t-il suscitées ? La police a procédé à la saisie des hebdomadaires Le reporter et Al Moustaqill qui ont publié le texte intégral du mémorandum. Ce fut là un retour de censure grâce au code de la presse de 1973 qui permet au ministre de l’intérieur de procéder à la saisie. Mais vingt quatre heures après, les deux journaux sont remis en vente. La censure ne s’est pas assumée jusqu’au bout, se découvrant comme absurde en fin de compte, le texte ayant déjà été divulgué sur Internet, sur CD, et distribué le jour du dixième anniversaire de la mise en résidence surveillée de Yassine.

De son côté, la « Ligue des Ouléma du Maroc » estime dans un communiqué que le mémorandum de Yassine incite les sahraouis à rompre le pacte d’allégeance légale (qui les lie au Roi). Selon cette ligue, le mémorandum est contraire au Coran et à la Sunna, aux invariants religieux en matière d’us et coutumes de bienséance. Accusé d’ignorer la Shari’a, de dépasser les limites de la nassiha, et de sortir du consensus de la communauté islamique, Yassine est invité au repentir. Quant à l’association islamiste concurrente en vogue, Al Isslah wa et-Tajdid, elle estime pour sa part que le mémorandum de Yassine dessert le projet islamiste et le détourne des véritables batailles qu’il doit mener.

Quelles critiques peut-on adresser au mémorandum de Yassine? Le style descriptif et violent du mémorandum permet de le considérer comme un témoignage partial : Yassine témoigne contre Hassan II. Yassine qualifie le roi défunt d’adjectifs insultants et méprisants qui vont contre l’impératif islamique de parler des morts en bons termes et qui empêchent le mémorandum d’être une véritable nassiha. Dans ce sens, Yassine, tout en parlant au nom de l’islam vrai, ne cite dans son mémorandum ni verset du Coran ni hadith du prophète. On dirait plutôt un règlement de comptes entre deux hommes, dont l’un est mort. Critique partiale qui ne veut voir que les aspects négatifs et obscurs dans le règne de Hassan II. Pire, la critique yassinienne confond entre système politique marocain et personnage de Hassan II. Selon le mémorandum, Hassan II serait le seul responsable de la déchéance générale du Maroc. D’un autre côté, la tradition du conseil-nassiha dans l’histoire de l’islam montre que la nassiha adressée au Gouvernant se fait dans le secret. Or Yassine la publie et la distribue en milliers d’exemplaires. Plus que cela, il la publie sur Internet et ne s’adresse pas seulement au Roi. Il interpelle le lecteur, ses frères dans la foi, ses soeurs... Or la nassiha-conseil ne s’adresse pas à la ‘amma (peuple).

Plus simplement, on peut voir dans le mémorandum de Yassine une première réaction de AdI wa al-Ihsane après la mort de Hassan II pour se positionner dans un champ politico-religieux positivement dominé par le nouveau roi Mohamed VI. L’aura du nouveau souverain dérange profondément Yassine. Actuellement, celui-ci est le seul acteur politico-religieux marocain à être dérangé par cette aura prometteuse.

Fès, mars 2000

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